L'île aux oiseaux à Préverenges: Bilan intermédiaire sur 15 ans

Groupe « île aux oiseaux de Préverenges »
Photos: Lionel Maumary, Laurent Vallotton, Dinah Saluz et Franck Lehmans
Introduction
Les zones humides, des habitats devenus rares
La Suisse était autrefois riche en milieux humides, avec de grandes étendues de marais, les rives naturelles des lacs et des étangs ainsi que les rivières et fleuves aux méandres changeants. A l’état naturel, les zones de transition entre les surfaces d’eau libre et la terre ferme couvraient de grands espaces. La régulation du niveau des lacs et l’aménagement des rives des cours d’eau empêchent aujourd’hui l’inondation périodique des zones alluviales et forment des limites nettes entre la terre et l’eau. La correction des eaux et le drainage des marais et prairies à litière ont causé la perte de 90 % de toutes les zones humides de Suisse. Par conséquent, de nombreuses espèces animales et végétales typiques des stations humides et inondées ont vu leur habitat se restreindre. Elles se sont donc considérablement raréfiées ou ont même complètement disparu. Un objectif prioritaire de la protection de la nature est de conserver intégralement les zones humides existantes et de revitaliser celles qui peuvent l’être.
Fig. 1. Chevaliers gambettes et Combattants variés sur le rivage de Préverenges.
Les limicoles sont menacés
Un quart de toutes les espèces de limicoles du monde sont menacées d’extinction, et deux sont déjà éteintes en Europe. Les recensements effectués dans les zones d’hivernage en Afrique (Banc d’Arguin, Mauritanie notamment) suggèrent que la plupart des espèces ont subi une chute de plus de moitié de leurs effectifs entre les années 80 et 90. Ces déclins sont extrêmement importants, dans un site qui héberge environ un tiers de tous les limicoles européens hivernant en Afrique. Les limicoles sont des migrateurs au long cours, ce qui les rend particulièrement susceptibles aux changements qui interviennent dans leur environnement. Leur mœurs leur impose une migration de plusieurs milliers - voire dizaine de milliers – de kilomètres le long d’un chapelet de sites d’escale. Ils se concentrent au même moment dans ces sites clés, où ils sont tous vulnérables. De telles migration sont extrêmement exigeantes en ressources nutritives et dépendantes des circonstances locales lors des escales, ce qui ajoute à la fragilité du système. En effet, ces caractéristiques écologiques très particulières entrent en compétition avec l’homme pour les habitats clés, surtout dans les régions tempérée et tropicale à proximité de localités à fortes densités humaines. Les effets des changements climatiques induits par l’homme, avec pour conséquence une montée du niveau des océans, sur la nidification, la migration et l’hivernage des limicoles sont inconnus. La diversité extraordinaire des limicoles, qui tissent des toiles de voies migratoires autour de la planète en fait un grand défi pour la conservation des espèces, imposant une vision globale de causalité et de responsabilité humaine.
Fig. 2. Courlis cendrés passant la nuit à l'île aux oiseaux de Préverenges.
La migration des limicoles
En Europe continentale, le passage des limicoles est beaucoup plus discret au printemps qu’en automne, d’une part parce que leur nombre est plus faible après la mortalité hivernale et d’autre part parce que la migration s’effectue plus rapidement. Néanmoins, la bonne fréquentation des rares sites d’escale favorables sur les rives lémaniques témoigne de leur importance pour ces oiseaux. La côte nord du Léman présente un fort potentiel pour l’escale des limicoles au printemps : les limicoles survolent le lac à faible hauteur et longent La Côte lorsqu’ils butent contrent le rivage à la recherche d’un site d’escale favorable. Ces oiseaux ont en effet besoin de se reposer et se nourrir régulièrement au cours de leur voyage de plusieurs milliers de kilomètres. Les étapes sont le plus souvent de plusieurs centaines de kilomètres, à une vitesse migratoire moyenne de 60-70 km/h.
Fig. 3. Le Léman est situé dans le couloir migratoire du Plateau suisse. NASA.

Les limicoles ont besoin de zones humides non seulement pour la nidification mais également pour s’y nourrir en route lors de leurs migrations vers leurs quartiers d’hiver et au retour. Les limicoles, essentiellement originaires du nord de l’Europe et de Sibérie en particulier, font escale en Suisse sur les rives lacustres et fluviales, dans les marais et les cultures inondées. Ils y renouvellent leurs réserves de graisse avant de poursuivre leur voyage. Lorsqu’ils sont peu dérangés, le séjour peut se prolonger si la qualité des biotopes le permet. Les diverses espèces de limicoles recherchent leur nourriture dans les milieux les plus variés. Le Courlis cendré, par exemple, a une préférence pour les marais ouverts, le Petit Gravelot, pour les bancs de graviers sans végétation et le Bécasseau variable ou le Chevalier gambette pour les vasières. De nombreux limicoles comme les pluviers ou les vanneaux fréquentent également les plaines agricoles, où ils font escale dans les champs, prairies et pâturages inondés.
Fig. 5. Bécasseaux sanderlings et maubèches se posant sur l'île aux oiseaux à Préverenges.

Le déclin des migrateurs du littoral
Le groupe d’oiseaux ayant subi un déclin marqué au cours du XXe siècle est sans conteste celui dépendant du fragile interface terre-eau, aujourd’hui enroché sur plus de 80 % des rives. La disparition de 105 plantes vasculaires spécialisées sur 133 présentes à la fin du XIXe siècle dans la région lausannoise constitue un exemple frappant de la disparition des rivages à faible déclivité à la faveur d’enrochements abrupts. Les derniers espaces encore intacts, sauvegardés par miracle ou à force de volonté humaine, sont convoités par un nombre croissant de plaisanciers, qui constituent actuellement la menace la plus grande pour ces vestiges de nature.
Fig. 7. Les grèves de Préverenges exondées en mars 1996 avant la construction de l'île.
La disparition des grèves naturelles et des lagunes littorales, notamment par remblayage et dragage, a eu un impact négatif sur pratiquement tous les limicoles à l’exception du Chevalier guignette, qui apprécie les enrochements. A quelques exceptions près, les groupes de ces oiseaux étaient plus grands autrefois, comme en témoignent les observations du début du XXe siècle relatées dans les chroniques ornithologiques. Si ce déclin va de pair avec les drainages des marais dans lesquels nichent ou hivernent les limicoles, il n’en est pas moins représentatif de la réduction des possibilités qui leur sont offertes sur les rives lémaniques. Ils ne trouvent des sites d’escale adéquats qu’aux endroits où les hauts-fonds hors de l’emprise humaine sont exondés temporairement lors de l’abaissement printanier des eaux (années bissextiles surtout). Les gravelots, bécasseaux, chevaliers et autres petits échassiers peuvent s’y reposer et se nourrir pendant leur migration de plusieurs milliers de kilomètres qui les ramène vers leurs quartiers de nidification dans le grand Nord. Il est en effet indispensable que de tels sites jalonnent leur chemin afin qu’ils puissent entamer la saison de reproduction dans un bon état physiologique. Ces rivages naturels n’existent plus qu’aux Grangettes, à Préverenges et à Excenevex (Haute-Savoie F), mais ils sont fortement soumis à la pression des promeneurs et surtout de leurs chiens non tenus en laisse, qui interdit tout séjour prolongé aux oiseaux.
Les sites d’escale
Le dernier inventaire
des sites d’escale pour les limicoles sur l’ensemble du
territoire suisse, fait en 1992 par la Station ornithologique suisse,
fait un constat alarmant. Seuls 35 sites d’importance nationale
ont été recensés, la plupart d’entre eux
ne bénéficiant d’aucune protection et étant
menacés. Seuls 3 sites d’importance nationale existent
sur les rives helvétiques du Léman, soit Les
Grangettes, Préverenges et la rade de Genève. La
plupart des perturbations sur ces sites proviennent d’activités
humaines les plus diverses. Des mesures doivent être prises de
toute urgence pour conserver et recréer ces habitats ainsi que
pour y diminuer l’impact humain.
En effet, les perturbations de
toutes sortes ont un fort impact sur les oiseaux qui y séjournent,
particulièrement lorsque ces biotopes sont isolés. Sans
zone refuge où se replier, les limicoles quittent souvent
définitivement le site après le premier dérangement.
L’abaissement annuel du niveau du lac entre mars et mai, prévu
pour faciliter les travaux riverains, permet d’augmenter la
surface de grèves exondées.
L’abaissement normal
est de 50 cm par rapport aux hautes eaux (372.3 m sur mer). Lors des
années bissextiles, le niveau du lac est même ramené
à la cote 371.4 msm, soit 90 cm en dessous du niveau des
hautes eaux.

L’île aux oiseaux de Préverenges
Fig. 12. L'île aux oiseaux de Préverenges vue d'avion en avril 2004
Située au coude nord du Léman, la baie de Préverenges fonctionne comme un butoir pour les oiseaux migrateurs arrivant du lac au printemps, revenus d’Afrique et en route pour leurs lointains quartiers d’été dans la toundra arctique. Une « île aux oiseaux » y a été créée en 2001/02, sous l’impulsion du Cercle ornithologique de Lausanne (COL). Plus de 230 espèces, dont 60 de limicoles et laridés, y ont été identifiées à ce jour, ce qui en fait un des hauts lieux de l’ornithologie helvétique. Les hauts-fonds exondés au printemps près de l’embouchure de la Venoge attirent un grand nombre de petits échassiers (limicoles), mouettes, goélands et sternes (laridés), tentés de faire escale pour se reposer et se nourrir avant de continuer leur voyage long de plusieurs milliers de kilomètres. Les grèves de Préverenges n’étaient exondées qu’une partie du printemps et n’offraient aucune possibilité d’escale pendant la migration d’automne. De plus, les dérangements fréquents dus notamment aux chiens non tenus en laisse perturbent sans cesse les oiseaux. Face à cette situation, le Cercle ornithologique de Lausanne (COL), en collaboration avec Pro Natura Vaud et le Groupe ornithologique et des sciences naturelles de Morges et environs (GOS), a élaboré un projet d’île aux oiseaux à l’embouchure de la Venoge. Après 15 ans d’études et de démarches administratives, menées dès 1986, cette île a été créée entre octobre 2001 et avril 2002. Elle est située à une centaine de mètres de la rive, composée d’un enrochement en forme d’arc abritant un banc de sable et de gravier. Etant exondée en toute saison, elle offre une capacité d’accueil optimale pour les migrateurs. Un îlot rond était dévolu à la nidification de la Sterne pierregarin mais cette espèce n'y a jamais niché.
Fig. 13. L'île aux oiseaux de Préverenges lors d'une tempête en septembre 2008.
Cette île constitue un attrait pour les promeneurs qui peuvent observer à loisir ces voyageurs fascinants, surtout au printemps. Des panneaux d’information pour le public ont été mis en place sur le rivage en 1996, permettant l’identification des nombreuses espèces présentes au printemps et en hiver. A peine terminée, l’île aux oiseaux de Préverenges s’est offert un palmarès impressionnant : d’avril à juin 2002, 27 espèces de limicoles et 14 de laridés s’y sont posées, soit pratiquement toutes les espèces observées en 17 ans d’étude sur le site, totalisant plus de 1'500 données. En janvier et février 2002, alors qu’il n’y avait encore qu’un enrochement, une troupe comptant jusqu’à 15 Courlis cendré hivernants y ont passé la nuit, fait rarissime dans le bassin lémanique. Puis dès le moment où les machines ont quitté le chantier à fin mars, l’île a hébergé des limicoles tous les jours jusqu’en juin. Dès la construction de l’île, l’automne a vu de nombreux limicoles se poser à Préverenges, le nombre de données atteignant même le tiers de celui obtenu au printemps. La fréquentation des Chevalier guignette, Bécasseau variable et Grand Gravelot a été particulièrement élevée. De nombreux laridés ont également été observés, telles que Mouettes mélanocéphales ou Sternes caugeks.
La migration des limicoles à Préverenges
A peine achevée, l’île a suscité l’intérêt des oiseaux, qui ont trouvé un havre de paix leur offrant sécurité et nourriture, indispensable au bon déroulement de leur migration. L’évolution du nombre de limicoles recensés de 1984 à 2011 montre clairement l’influence de l’île, qui a permis l’escale d’un nombre de limicoles encore plus grand que lors des meilleures années bissextiles de 1984 et 1996. Le nombre moyen annuel (de janvier à juin) de limicoles migrateurs faisant escale à Préverenges est 3 fois plus élevé depuis la création de l’île : il est passé de 344 pour la période 1984-2001 (avant la création de l’île) à 1'065 pour la période 2002-2011 (après la création de l’île). Si l'on ne tient compte que des années bissextiles, la moyenne a plus que doublé : elle est passée de 705 (1984, 1988, 1992, 1996 et 2000) à 1'844 (2004 et 2008). La fréquentation record est également due à des séjours prolongés, qui étaient auparavant souvent interrompus par les chiens : les oiseaux continuent à se nourrir sur le rivage mais passent la nuit sur l’île et s’y réfugient lors de dérangements. L’île fonctionne donc non seulement comme site d’escale pour le repos des migrateurs mais également comme gagnage et comme refuge. L’hivernage des Courlis cendrés, phénomène nouveau, participe notablement à cette augmentation. Ces oiseaux arrivent lors des premiers grands froids de décembre ou janvier pour repartir en février/mars. Chaque soir, ils rallient l'île de Préverenges depuis les gagnages diurnes situés en Haute-Savoie et sur la côte jusque dans la région de Nyon. Le Petit Gravelot niche chaque année sur l'île, sans succès jusqu'à présent en raison de la prédation par la Corneille noire et de la rapide remontée des eaux en avril. Un très grand nombre d’espèces a également été enregistré, avec des totaux records, ainsi que plusieurs nouvelles espèces pour le site: Pluvier fauve, Bécassine sourde, Phalarope à bec large, Flamant rose et Ibis falcinelle notamment.
Fig. 14 a. Evolution du nombre de limicoles observés de 1984 (début du recensement systématique) à 2011. Fig. 14 b. Evolution du nombre de limicoles observés de 1984 (début du recensement systématique) à 2013.




















































Tableau 1. Moyennes du nombre d'observations de limicoles à Préverenges en 1997-2001 et 2002-2011.
Espèce | Moyenne 1997-01 (n= limicole / jour) | Moyenne 2002-11 (n= limicole / jour) | Facteur d'accrois sement |
Petit Gravelot | 36 | 146 | x4 |
Grand Gravelot | 5 | 62 | x12 |
Gravelot à collier interrompu | 0 | 2 | ++ |
Pluvier argenté | 0 | 7 | ++ |
Pluvier fauve | + | + | |
Vanneau huppé | + | + | |
Bécasseau maubèche | 0 | 6 | ++ |
Bécasseau sanderling | 4 | 36 | x9 |
Bécasseau minute | 1 | 5 | x5 |
Bécasseau de Temminck | 1 | 11 | x11 |
Bécasseau cocorli | 0 | 5 | ++ |
Bécasseau variable | 3 | 45 | x15 |
Combattant varié | 89 | 212 | x2 |
Barge à queue noire | 3 | 10 | x3 |
Barge rousse | 0 | 16 | ++ |
Bécassine des marais | 0 | + | + |
Bécassine sourde | 0 | + | + |
Courlis cendré | 0 | 710 | +++ |
Courlis corlieu | 5 | 26 | x5 |
Chevalier arlequin | 8 | 6 | - |
Chevalier gambette | 46 | 129 | x3 |
Chevalier stagnatile | 1 | 1 | x1 |
Chevalier aboyeur | 22 | 81 | x4 |
Chevalier culblanc | 0 | 14 | ++ |
Chevalier sylvain | 9 | 30 | x3 |
Chevalier guignette | 46 | 140 | x3 |
Tournepierre à collier | 0 | 16 | ++ |
Huîtrier pie | 3 | 4 | x1 |
Avocette élégante | 1 | 6 | x6 |
Echasse blanche | 4 | 6 | x1 |
Phalarope à bec large | + | + | |
Total | 344 (50-1300) | 1065 (521-2550) | x3 |
Evolution et gestion
Depuis 1984, les limicoles sont recensés quotidiennement sur les plages de Préverenges et St-Sulpice au printemps. L'évolution de la fréquentation du site par ces oiseaux est donc très bien connue. A part le Chevalier arlequin, le Chevalier stagnatile, l'Huîtrier pie et l'Echasse blanche, toutes les espèces de limicoles sont devenues bien plus fréquentes depuis la construction de l'île, certaines espèces étant jusqu'à 15 fois plus nombreuses à l'exemple du Bécasseau variable. La situation actuelle a été comparée aux 5 dernières années avant la construction de l'île, le régime des eaux étant alors plus proche qu'au cours des années 1984-1996, lorsque le niveau des basses-eaux était notablement plus bas. L'île principale et l'îlot rond, tous deux stabilisés, se sont rapidement couverts de végétation et, dès 2004, il a été nécessaire d'intervenir par débroussaillage afin d'éviter une évolution rapide vers le boisement. Ces débroussaillage annuels ont été effectués fin juillet. Une roselière s'est établie dans la zone occidentale de l'île, abritant notamment le Râle d'eau, la Poule d'eau et la Rousserolle effarvatte. Les zones de vasières utiles aux limicoles n'existent que par basses eaux. Le plancher de molasse dans la zone abritée par l'enrochement s'est petit à petit rehaussé par les dépôts de limons, ce qui a eu pour conséquence que l'île est reliée au rivage pendant les basses-eaux extrêmes du mois de mars. Cette liaison temporaire avec le rivage n'a que peu d'influence sur le sentiment de sécurité des oiseaux qui fréquentent l'île car elle intervient après le départ des Courlis cendrés hivernant et avant l'arrivée du gros des limicoles. Du côté du rivage, une accumulation de sable venant de l'ouest lors des tempêtes a formé une langue s'allongeant progressivement en direction de l'île. Ce banc de sable instable est très apprécié des limicoles et laridés, notamment en été/automne lors des hautes eaux. C'est à ce moment la seule plage en partie dépourvue de végétation dans la zone de l'île. Depuis l'apport massif de sable sur la plage de Préverenges plus à l'ouest, elle s'est élargie et a progressé plus rapidement en direction de l'île car les tempêtes y déposent sur son flanc ouest ce nouveau sable arraché par les vagues à la plage de Préverenges. Son évolution est toutefois à surveiller afin d'éviter que l'île devienne une presqu'île permanente.

Hôtes exceptionnels et nombres records
Fig. 61. Ce Pluvier fauve mâle adulte observé le 21 juillet 2003 sur l'île aux oiseaux de Préverenges constituait la première donnée suisse.









La Sterne pierregarin
La Sterne pierregarin
est répandue dans le monde entier : la sous-espèce
nominale niche du Canada au nord de l’Amérique du Sud,
sur les îles de l’Atlantique, en Afrique du Nord et de
l’Ouest, ainsi qu’en Europe de la péninsule
Ibérique et des îles Britanniques à travers la
majeure partie de l’Eurasie jusqu’au bassin du Ienisseï.
Les quartiers d’hiver se situent principalement sur les côtes
des mers tropicales et subtropicales, la population paléarctique
hivernant des côtes atlantiques africaines à celles de
l’océan Indien.
Fig. 70. Distribution de la Sterne pierregarin en Suisse.
En Suisse, l’espèce
niche en 14-16 colonies (1999-2003) réparties sur les lacs du
Plateau, la plus importante étant celle du Fanel BE/NE avec
163 (143-176) couples en moyenne entre 1999 et 2003, soit 38 % de
l’effectif helvétique moyen durant la même
période. Les autres colonies comptant plus de 10 couples
(moyenne 1999-2003) se trouvent à Verbois GE, aux Grangettes
VD, au Lengwiler Weiher TG, à Salavaux VD, à
Cheseaux-Noréaz VD, à Romanshorn TG, à
Rapperswil SG, au Nuolener Ried SZ et au Greifensee ZH. Le delta de
la Dranse F accueillait en moyenne 25 couples de 1976 à 1992
mais a été déserté depuis. La plupart des
sites de nidification se situent entre 280 et 430 m d’altitude,
le plus élevé étant depuis 1996 le radeau du lac
de la Gruyère FR à 680 m. En migration, l’espèce
peut être observée sur tous les plans d’eau du
Plateau, irrégulièrement dans le Jura, à
l’intérieur des Alpes et au Tessin. Hors des sites de
nidification, les plus grandes concentrations de migrateurs sont
observées à Genève, dans une moindre mesure à
Préverenges VD et Yverdon.
Les adultes nicheurs accompagnés de leurs jeunes disparaissent des sites de reproduction dès fin juin, surtout entre mi-juillet et mi-août. Des familles et des oiseaux isolés sont observées jusqu’à fin août, parfois jusqu’à fin septembre sur le Léman, à Préverenges, dans la baie d’Excenevex F et près de Genève surtout. Les premiers migrateurs arrivent dès fin mars, la migration culminant dans la seconde moitié d’avril sur le Léman et le lac de Neuchâtel, dans la première moitié de mai sur le lac de Constance. Des estivants non nicheurs sont régulièrement observés en juin et juillet loin des colonies. Au XIXe siècle, la Sterne pierregarin était plus fréquente que la Mouette rieuse en Suisse. Ses effectifs ont fortement diminué jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle, avant de se rétablir grâce à la mise à disposition de sites de nidification artificiels. Les corrections fluviales et l’exploitation des graviers ont causé la disparition des colonies en sites naturels où les dernières reproductions ont été signalées au début du XXe siècle à Nidau BE, vers 1920 à Aarberg BE et sur la Thur à Wil SG et Bischofszell TG, entre 1920 et 1930 au Kanderdelta BE et sur le Rhin à Flaach ZH-Rüdlingen SH, vers 1930 à Hagneck BE, en 1934 à l’embouchure de la Thielle NE et à la fin des années 30 à l’embouchure du Rhône aux Grangettes VD. En 1952, il ne subsistait plus que la colonie du Fanel BE/NE, sauvée par l’aménagement d’un îlot artificiel en 1929; puis des radeaux, plateformes et îles de gravier ont permis à la colonie de se développer dès 1963. En Suisse, la Sterne pierregarin est aujourd’hui entièrement dépendante des interventions humaines en raison de l’altération de ses habitats résultant des corrections fluviales. La création de sites artificiels a permis à la population helvétique de se rétablir, les sites naturels ayant presque tous disparu pendant la première moitié du XXe siècle. La population reste toutefois petite et le succès de reproduction est faible, les couvées étant vulnérables face aux intempéries, crues, dérangements ou prédateurs que sont le Rat surmulot Rattus norvegicus, le Milan noir, l’Autour des palombes, le Goéland leucophée, la Chouette hulotte ou la Corneille noire, certains individus spécialisés pouvant entièrement anéantir une colonie. L’île neuchâteloise du Fanel BE/NE, où l’espèce a niché entre 1970 et 1980, a été abandonnée par l’espèce en 1981 à cause du Goéland leucophée. La contamination des oiseaux par des PCB et des organochlorés accumulés avant tout lors des séjours dans les quartiers d’hiver africains influence négativement le succès de reproduction par une fragilisation de la coquille des œufs. La pollution des eaux est responsable du déclin de la population hollandaise de 42'000-48'000 couples en 1954 à 14'000-19'000 en 1997. Il serait souhaitable de promouvoir la surveillance des sites de nidification existants, la création de nouvelles possibilités de nidification telles que radeaux, plateformes ou îlots de gravier en des lieux adéquats ainsi que la revitalisation des eaux courantes, en restaurant la dynamique alluviale naturelle permettant la formation de deltas. Afin de limiter la prédation sur les poussins, des caches devraient être aménagées sur les sites de nidification.
Suivi de la colonie de Sternes pierregarins (Sterna hirundo) à Préverenges en 2016
Fig. 71. Plateforme à sternes de Préverenges construite en 2015.
Introduction
Dans la zone d'eau calme située entre l’île et le rivage dans la partie ouest de l'île aux oiseaux de Préverenges, une plateforme de 6 x 6 m permet d'accueillir une colonie de Sterne pierregarin. Cette espèce ne peut plus se reproduire que dans de tels sites artificiels, les sites naturels (bancs de sable se créant naturellement à l'embouchure des rivières, deltas naturels) n'existant plus en Suisse. Ces plateformes sont très appréciés des sternes, qui les colonisent rapidement. La plateforme a été construite au début de l'année 2015 par l'entreprise Rampini SA, la réception du chantier ayant eu lieu le 11 février 2015. Au printemps et en été 2015, les offrandes de couples de Sternes pierregarins ont eu lieu mais pas de nidification. Au printemps 2016, une colonie d'env. 50 couples s'est installée sur la plateforme et a produit 30 jeunes à l'envol.
Fig. 71-73. La plateforme à sternes complète le dispositif d'accueil de l'île aux oiseaux.


Buts du projet
Le but principal de ce projet est, d'une part, de suivre l'évolution du nombre de couples nicheurs et leur succès de reproduction. Dans un premier temps, le baguage est utile au comptage des jeunes, qui ne peut être effectué avec précision qu'en visitant la plateforme. D'autre part, le baguage permet d'avoir des informations concernant la migration et les zones d'hivernage de la Sterne pierregarin, dont la connaissance est encore lacunaire. En effet, une reprise récente du lac de Morat montre que l'espèce peut hiverner aussi loin au sud que la Namibie. Le baguage des sternes de Préverenges permet également de connaître les échanges futurs avec les différentes colonies de Verbois GE, de la Pointe-à la-Bise GE, des Grangettes VD, du Fanel BE ou du lac de Morat VD, cette dernière étant particulièrement bien suivie grâce au baguage. Le principal reposoir des sternes sur les enrochements à l'embouchure de la Venoge permet le plus souvent la lecture des bagues. On peut ainsi également cerner le taux de retour des oiseaux nés dans la colonie.
Fig. 74. La Sterne pierregarin nicheuse H 89565 est née en 2009 au bord du lac de Neuchâtel à Vaumarcus VD.
Méthode de capture
Le site de baguage est la plateforme artificielle complétant le dispositif de l'île aux oiseaux de Préverenges, essentiellement conçue pour l'accueil des limicoles et laridés migrateurs. Les oiseaux ont été bagués au stade de poussins avant d'être capables de voler et de quitter la plateforme. Ils ont donc capturés à la main à l'occasion de quatre visites à la plateforme de nidification les 9 et 25 juillet, 9 et 29 août 2016. Les nids et les oeufs ont été comptés sur photo.
Déroulement de la nidification
Dès le 9 mai 2016, des offrandes et accouplements ont été observés sur la plateforme, mais seuls 2 couples semblaient s'y intéresser jusqu'au 30 mai. La colonie de Sternes pierregarins s'est installée le 31 mai, lorsqu'au moins 40 individus tournaient au-dessus de la plateforme. Le 7 juin, au moins 50 sternes y ont été dénombrées, puis 60 à partir du 26 juin. Les deux premiers jeunes se sont envolés le 23 juillet, et le dernier (presque capable de voler) était encore présent sur la plateforme le 21 août. La majorité des envols ont eu lieu dans la première moitié du mois d'août. La plupart des pontes qui ont produit des jeunes à l'envol ont eu lieu pendant la première moitié de juin. De nombreux oeuf ont encore été pondus en juillet, mais la plupart de ces pontes tardives ont échoué. Les sternes étaient très agressives envers les prédateurs ailés comme le Milan noir, la Corneille noire, le Goéland leucophée et le Héron cendré. Ces espèces ne pouvaient plus s'approcher de la plateforme ni de l'île. Au moment de l'envol de la plateforme, la plupart des jeunes sternes sont tombées à l'eau et ont rejoint à la nage les enrochements de l'île aux oiseaux ou de l'embouchure de la Venoge. Certaines sont arrivées sur le rivage, où elles étaient à la merci des chiens non tenus en laisse. Heureusement aucun cas de mortalité n'a été observé après le départ de la plateforme. Deux poussins ont été retrouvés morts sur la plateforme avant leur envol.
Provenance des nicheurs
Grâce à 4 caméras GoPro disposées dans la colonie, 2 adultes nicheurs bagués ont pu être identifiés :
- H 77989, baguée comme poussin le 23 juillet 2013 à 60 km sur le lac de Morat à Salavaux VD par Pascal Rapin
- H 89565, baguée comme poussin le 11 juin 2009 à 44 km sur le lac de Neuchâtel à Vaumarcus VD par Michel Antoniazza
Résultats du baguage
En tout 30 jeunes ont été bagués et se sont envolés de la plateforme. Le succès de reproduction de 64 % est proche de la moyenne helvétique, qui est de 66 % (32-93 %) de tous les couples nicheurs (y compris ceux ayant échoué) (Maumary et al. 2007). Il n'a pas été possible de déterminer le nombre de couples s'étant reproduits avec succès et ceux ayant échoué.
Date | Nombre de couples / nids | Nombre d'oeufs | Nombre de jeunes bagués | Nombre de jeunes envolés | Succès de repro duction |
09.07.16 | env. 20 | 40 | 10 | 0 | |
25.07.16 | 47 | 78 | 13 | 2 | |
09.08.16 | env. 12 | env. 25 | 7 | 21 | |
21.08.16 | 0 | 0 | 0 | 7 | |
Total | 47 | 78 | 30 | 30 | 0.64 jeunes / couple |
Autres observations
La pose de 4 caméras GoPro a permis d'effectuer d'intéressantes observations. Il a ainsi pu être mis en évidence l'importance de petits Brochets Esox lucius parmi les proies apportées aux jeunes.




Remerciements
C'est grâce à la générosité de Mme Christiane Bauer-Lasserre, ainsi qu'à la Fondation Ellis Elliot et la Fondation Phragmites, que le COL a pu construire la plateforme à sternes de Préverenges.


Bibliographie
- Géroudet, P. (1987) : Les oiseaux du lac Léman. Nos Oiseaux – Delachaux et Niestlé, Neuchâtel – Paris.
- Maumary, L. (1999) : Evolution du statut des oiseaux sur le Léman. Découvrir le Léman 10 ans après F.-A. Forel. Actes du colloque pluridisciplinaire Nyon, septembre 1998. Musée du Léman – Slatkine.
- Maumary, L., M. Baudraz et T. Guillaume (1997) : La migration prénuptiale des Laro-Limicoles (Charadriiformes) à l’embouchure de la Venoge (rive nord du lac Léman). Synthèse de treize années de recensements et proposition d’aménagement du site. Nos Oiseaux 44 : 125-155.
- Maumary, L., L. Vallotton & M. Baudraz (2003): L’île aux oiseaux à Préverenges. Rapport final. Cercle ornithologique de Lausanne.
- Maumary, L., L. Vallotton & P. Knaus (2007): Les oiseaux de Suisse. Station ornithologique suisse et Nos Oiseaux. Sempach et Montmollin.
- Schmid, H. (1992) : Stationnement des limicoles faisant escale en Suisse. Station ornithologique suisse, Sempach.


